mardi 17 décembre 2013

L'Autre Mandela ou le revers de la gloire (1)



              En Afrique, il est coutume de dédramatiser la mort d’un être cher lors de ses funérailles. Ainsi, on raconte des anecdotes sur lui en imitant ses gestes, sa démarche, sa voix etc… dans le but de se ‘‘moquer’’ de lui. Il arrive aussi pendant ces cérémonies qu'on dévoile une facette méconnue du défunt. L’effet escompté est de démystifier aussi bien la mort que le mort. La douleur de la perte est alors quelque peu atténuée pendant que les larmes et le vide laissé par le défunt font place à un mieux-être aussi éphémère soit-il et parfois au rire. Desmond Tutu n’a pas failli à la règle, lorsque prenant la parole aux funérailles de Nelson Mandela, il a rendu un hommage moqueur à son ami de longue date. Arrachant au public des rires aux éclats, en ces moments, autrement, solennels et ô combien tristes! Vous l’avez sûrement compris, l’esprit de ce billet abonde dans le même sens : raconter l’autre Mandela…
Celui qui se tenait loin des projecteurs du monde entier, loin des tabloïds, loin de la gloire et de l’adulation. Le Mandela somme toute ordinaire, avec ses défauts et diminué par maintes épreuves comme il l’a lui-même admis dans ses mémoires : ‘‘Je suis un mythe qui s’est avéré n’être qu’un homme’’. 


1er jour de classe: 

A 7 ans, le petit Mandela se rend pour la première fois à l'école. La tête haute, il se présente devant son institutrice, Miss Mdingane, malgré ses vêtements qui révélaient une pauvreté flagrante. Faute d'argent pour acheter des habits neufs, son ingénieux de père avait coupé grossièrement les deux jambes d'un de ses vieux pantalons afin d'improviser la culotte anglaise (assez originale), un ‘‘must’’ à la rentrée des classes. Mandela écrira dans ses Mémoires : "Mon père prit ensuite un morceau de ficelle pour resserrer cette culotte à la taille beaucoup trop ample pour moi. Je devais avoir l'air ridicule dans cet accoutrement, mais j'étais néanmoins très fier. "

3: les trois femmes (officielles) de sa vie
Mandela était un homme à femmes. Dans un pays comme le sien ou la polygamie est légalisée, en avoir eu officiellement 3 dans sa vie, et une à la fois, est vraiment un acte modéré. J’en connais un qui en épouse une chaque fois qu’il commence à s’ennuyer de la précédente… Bref, revenons aux femmes de Madiba.


Evelyn, la belle
On décrit Evelyne Ntoko Mase comme étant une jolie jeune fille, au visage ouvert et aux traits fins. Elle est élégante et discrète, "presque timide"[1], la parfaite femme au foyer. Elle avouera quarante ans plus tard avoir eu le coup de foudre pour Mandela. Le couple était bien parti pour vivre heureux. Seulement…Evelyn  ne supportait plus l’intense engagement politique de son mari au point où il  ne rentrait même plus à la maison dormir. Elle lui avait posé un ultimatum (peut-être juste pour l’effrayer ?) : choisir entre elle et l'ANC. Mais le choix fut très simple pour Madiba…

Winnie, la rebelle
Winnie, la rebelle a été la deuxième femme de Nelson Mandela. Dotée d’un sacré caractère, elle est incontrôlable et surtout indomptable. Elle est célèbre pour avoir tenu tête à des policiers surarmés en juin 1976 à Soweto, alors que des dizaines de jeunes écoliers venaient d’être fauchés par les balles assassines de l’apartheid. Face à un officier afrikaner, elle s’est dressée et lui a dit fièrement : ‘‘Vous savez qui je suis ? Je suis la femme de Nelson Mandela !’’ Elle est aussi l’auteur de la célèbre phrase : "Un Boer, une balle" ou "Avec nos boîtes d'allumettes et nos pneus enflammés, nous libérerons ce pays."  Winnie était ‘‘au front’’ alors que Mandela était en prison et si le nom de ce dernier est devenu si populaire dans le monde entier pendant son incarcération, c’est bien grâce à Winnie la rebelle. Malheureusement, les longues et douloureuses années de réclusion finiront par avoir raison de ce mariage car, la nature ayant eu horreur du vide, en particulier celui laissé par Mandela, Winnie se consolait dans les bras d’un jeune avocat…

Graça, la présidentielle

Le jour de ses 80 ans, Nelson Mandela se remarie pour la troisième fois comme pour se faire une seconde jeunesse, comme pour reprendre gout à la vie après un douloureux divorce. La cérémonie se fait en grandes pompes. Michael Jackson, Stevie Wonder, Naomi Campbell (souffrez du peu), se joignent à lui pour célébrer à la fois cette union et cet anniversaire. Graça Simbine Machel, la femme qui l’accompagnera dans ses années de vieillesse jusqu’à la mort, devient ainsi un cas rarissime dans l’histoire : elle aura été l’épouse de deux chefs d’Etat. Graça a en effet été la femme de Samora Machel, président du Mozambique, et allié de l'ANC mort en 1986 dans un mystérieux accident d’avion sur le sol sud-africain.

6: les 6 noms de Mandela

Mandela ne manquait pas de noms. Il est souvent appelé par divers autres noms. Chacune de ses appellations a sa propre histoire, une signification spéciale et se doit d’être utilisé dans un contexte bien précis. Voici donc une brève explication de chaque nom.

Rolihlahla - Son nom de naissance

Il lui a été donné par son père. Le sens littéral en Xhosa  étant ‘‘tirer la branche d’un arbre’’,  Rolihlahla est donc traduit par ‘‘fauteur de troubles’’ ou ‘‘rebelle’’ Un nom hautement prémonitoire… 

Nelson - Son nom anglais

Ce nom lui a été donné à son premier jour d’école par son institutrice Miss Mdingane. Selon la tradition de l'éducation britannique en vigueur alors en Afrique du Sud, les enfants africains devait porter des noms anglais et cela s’expliquait par le fait que les colons britanniques n’arrivaient pas prononcer les noms africains trop ‘‘compliqués’’ pour eux !   Lord Nelson était un prestigieux amiral de la flotte britannique et à l’instar de cet intrépide amiral, il se raconte que le jeune Mandela n'avait déjà pas froid aux yeux ! C’est peut-être ce qui motiva Miss Mdingane à lui donner ce nom.


Madiba – Son nom de clan

Il signifie ‘‘le vieil homme’’ en Xhosa. C’est le nom du clan Thembu auquel Mandela appartient. Selon la tradition, le nom de clan est plus important que le nom de famille car il se réfère directement aux ancêtres.   



Tata – Père (de la démocratie)

Mot Xhosa signifiant ‘‘papa’’ est devenu un terme d’affection que beaucoup de sud africains utilisent pour désigner Mandela car il est considéré comme le père de la démocratie sud-africaine.  D’où son appellation ‘‘Tata Mandela’’.



Khulu – Grand-père

Mandela est souvent appelé “Khulu” qui signifie ‘‘grand’’, ‘‘suprême’’. En s’adressant à Mandela par ce terme, l’interlocuteur entend dire ‘‘Celui qui est grand’’. C’est aussi le diminutif de “uBawomkhulu” qui signifie ‘‘grand père.’’



Dalibhunga – Son nom d’initié

 Ce nom lui a été donné à l’âge de 16 ans lors du rite de circoncision qui marque solennellement son passage à l’âge adulte conformément à la coutume Xhosa pour. Il signifie: ‘‘créateur ou fondateur du conseil’’ ou encore ‘‘Coordonnateur du dialogue’’ L’usage correct de ce nom hautement prestigieux veut qu’en saluant Mandela, on s’écrit: “Aaah! Dalibhunga”



Alors si on devait s’adresser solennellement à Mandela de son vivant, en utilisant tous ses noms, cela aurait donné : ‘‘Aaah! Dalibhunga, Nelson Rolihlahla Mandela Tata Madiba Khulu ….’’ De quoi s’essoufler très rapidement ! 
   


9854 :

C’est le nombre de jours que Madiba aura passé à être ‘‘trimbalé’’ de prison en prison. En effet, Nelson Mandela n’a pas vécu toutes ses 27 années d’emprisonnement bien ''au chaud'' à Roben Island mais était régulièrement  ‘‘déplacé’’ d’une prison à une autre, avec tout l’épuisement, l'inconfort et la disgrâce que l'on puisse imaginer; ''revisitant'' parfois une prison, ou il avait auparavant séjourné.  Au total, il est passé par 4 différentes prisons : Pretoria Local Prison, Robben Island, Pollsmoor Prison et Victor Verster Prison d’où il fut libéré le 11 février 1990. Il a même fini par devenir ami à vie à 3 de ses geôliers, à force de vivre dans le monde pénitencier...
‘‘Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé.’’


46664 :

Le matricule de prisonnier le plus célèbre de l’histoire, celui de Nelson Mandela. Ce dernier était le 466e prisonnier incarcéré à la prison de Robben Island en 1964 d’où le numéro 46664. Ainsi, la Fondation Nelson-Mandela a choisi 46664.com pour l'adresse de son site internet. 46664 est aussi le titre donné à une série de concerts organisés dans le monde par cette même fondation en faveur de la lutte contre le sida. 

Avocat:
  
Premier avocat noir de Johannesburg en 1951, Mandela a ouvert en 1952 le premier cabinet d’avocats noirs du pays où il défendait gratuitement ses frères opprimés par le système du "développement séparé", à savoir l’Apartheid.

Cela paraît toujours impossible, jusqu'à ce que ce soit fait” 

 

Caractère :


Le moins qu'on puisse dire est que Mandela avait un sacre caractere. Il est décrit comme quelqu'un d'impénétrable,  très difficile de savoir ce qu'il pense réellement. Son ex-épouse Winnie dit de lui qu’il ne supportait guère la contradiction, et encore moins l’échec. Il est difficile de lui tenir tête et de lui faire comprendre que certaines de ses exigences étaient ‘‘impossibles’’[2].  

Enfin, selon le témoignage de Joëlle Bourgois[4] : ‘‘Madiba était plein de douceur et en même temps capable de violence, d'une détermination implacable. Ce qu'il n'obtenait pas, il était prêt à l'obtenir par la force.’’


Ne touchez pas à ses Chemises ! 

En 1994,  Nelson Mandela a demandé au styliste sud-africain Yusuf Surtee de lui dessiner les chemises amples et colorées qu’il pourra porter presque tout le temps. Ce fut la naissance du ‘‘Mandela shirt’’ quoiqu’il ne soit pas au goût de tout le monde ! 


Le protocole de Sa Majesté britannique témoignant des chemises de Madiba en 1996, n’en revenait pas: ‘‘Même à Buckingham Palace, on a pu voir le dirigeant sud-africain porter une magnifique chemise noire en soie et satin, alors que tous les convives étaient en ‘‘pingouin’’ nœud papillon et smoking.’’


Quand à son ami Desmond Tutu, il en a fait les frais. Ce dernier critiquant les chemises de Mandela, un jour, lui dit qu’en tant que président, il devait être plus ‘‘fashion’’, en mettant définitivement fin à ses chemises fleuries, qui font pas vraiment ‘‘chef d’état’’. Madiba lui répliquant dit :
‘‘Toi, Desmond Tutu, tu oses me dire d’être plus ‘‘fashion’’ ? C’est quand même étonnant venant d’un homme qui ne porte que des robes en public!’’ Faisant allusion à l’éternelle soutane violette de l’archevêque. Sacré Madiba ! Regardez l'élégance de la dite robe, pardon..., regardez la soutane en question et jugez-en vous-même ! 



Et vous, entre les chemises a fleur de Madiba et l’éternelle robe de Desmond Tutu (décidément, qu'est ce qui m'arrive?), et l’éternelle soutane de Desmond Tutu, laquelle préférez-vous? En tout cas, mon choix est déjà fait! 

 



En attendant la suite de ce billet, je vous laisse en compagnie de Johnny Clegg qui a rendu a Mandela en 1987, un vibrant hommage musical doublé d'un engagement politique sans faille, transcendant le temps et l'espace sud-africain. Aujourd’hui encore, plus que jamais, j’écoute cette chanson que j'aime particulièrement, avec une forte émotion et une reconnaissance infinie à cet artiste Blanc, qui a osé ouvertement piétiner les diktats de l'apartheid pour se tenir dans le camp des opprimés, auprès des Noirs. Acte impensable à l’époque...   ''Assimbonanga,'' Nous ne l'avons pas vu...
  
Eïa pour Steve Biko!
         Eïa pour Victoria Mxenge!
Eïa pour Neil Aggett!
        Eïa pour Nelson Mandela!







A SUIVRE...



[1] Jean Guiloineau, Bbiographie de Nelson Mandela,  (Plon et Petite Bibliothèque Payot)

[2] Winnie Mandela, Une part de mon âme (Seuil, 1986)
[3] 1991, au début des négociations autour de la transition démocratique
[4] Ancienne ambassadrice de France en Afrique du Sud de 1991 à 1995, auteur de Cinq ans avec Mandela (Robert Laffont).

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